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ERIC BRIONES
dit Darkplanneur, directeur général du Journal du Luxe, co-fondateur de Paris School of Luxury et auteur.
Directeur général du Journal du Luxe, co-fondateur de Paris School of Luxury, planneur stratégique chez Darkplanning, auteur de plusieurs ouvrages sur le luxe, Éric Briones se penche avec ferveur sur tout ce qui a attrait au Luxe.
Nous nous sommes retrouvés à la maison de beauté Carita, temple du bien-être, en plein coeur de Paris, au sein d’une architecture kubrickienne et immaculée.
Nous avons parlé du luxe et des révolutions qui en découlent, de désir, de rareté mais aussi des générations Z, Alpha et Millenials, de la Gen IA en passant par le syndrome de l’imposteur ou encore la promesse de vie éternelle.
Entre autres...















Lia : On va commencer par une question simple et pourtant très ouverte. Comment définirez vous le Luxe ?
Eric : Ma première réponse, c’est qu’il y a autant d’individus que de définitions du Luxe. Ça pose question. Je rejoins la dernière interview de Jean-Noël Kapferer, penseur du marketing de luxe entre guillemets, qui dit qu’aujourd’hui le luxe a des centaines de milliers de clients, avec des chiffres d’affaires délirants, on peut se demander si ça doit encore s’appeler « Luxe ». Pour moi, mon luxe, c’est quand je retrouve ma forêt, la montagne, ça veut dire un temps précieux, déconnecté de la ville, loin de la bruit. Je ne suis absolument pas matérialiste, pour moi, le luxe est dans l’expérience extraordinaire, et là, on se trouve chez Carita, un lieu extraordinaire.
Lia : Le luxe serait lié au temps, celui que l’on prend pour soi ?
Eric : Oui et le silence, la déconnexion, l’excellence, la beauté. Pour moi, la plus belle saison, c’est l’automne, je suis un amoureux de l’automne en forêt de moyenne montagne, avec toutes les nuances d’orange, c’est Hermès dans les arbres. J’ai un côté ermite, mon métier est de capter l’air du temps, pour ça, il faut se noyer dans le bruit mais pour analyser l’air du temps, il faut savoir s’en éloigner. J’écris tous mes livres en montagne, j’ai besoin de sortir du bruit. Ce temps étant rare, forcément c’est un luxe. Aujourd’hui, la maladie du luxe, c’est d’avoir sacrifié l’exclusivité, la qualité et la rareté au le résultat financier. Ce triangle d’or est mis à mal par l’hyper croissance et par un système qui veut toujours plus. C’est une question de trop plein de désir, vaste question.
Lia : Un jour dans le RER, j’ai regardé autour de moi et il n’y avait que des marques, que des logos visibles autant sur des casquettes, des chaussettes, des Sweat-shirt, des robes que sur des voiles. Nike, Dior, Chanel, Lacoste, Adidas… C’était troublant de voir à quel point les marques étaient omniprésentes.
Eric : Bien sûr, il y a une démocratisation totale. Il faut se rappeler que mai 68, le luxe était à abattre, on devait couper la tête au monde bourgeois, aujourd’hui, c’est complètement l’inverse. Le luxe était devenu populaire, pour tous les âges et toutes les origines. L’un des symboles étant la démultiplication des écoles de marketing et communication dans le luxe, j’en ai créé une, Paris School of Luxury, et je peux vous dire qu’en classe de master, il y a une inclusivité extrêmement forte du fait de l’alternance. La question se pose en pleine crise de croissance, qu’est-ce que le luxe aujourd’hui ? Ne faudrait-il pas créer une nouvelle catégorie ? Même si l’hyper luxe existe bien, l’expression n’est pas très jolie.
Lia : Vous avez écrit plusieurs livres sur le sujet ?
Eric : Oui, six livres sur le luxe et toutes les révolutions, j’ai un petit côté anarchiste, j’aime quand ça bouge. Je suis fils de couturière et c’est ma mère qui m’a transmis le virus. C’est aussi d’avoir été dans l’envers du décor, la dureté que je ne suis pas devenu matérialiste. L’objet luxe ne m’intéresse pas, je suis fasciné par le pouvoir qu’exerce le luxe sur les gens, le luxe possède et cette dimension est fascinante. Mais quand on est tellement désirable, on s’éloigne de l’amour et le désir n’est pas durable. Et en ce moment, on est dans le creux de la vague du désir, ce qui fait que nous sommes dans une période extrêmement tendue, nerveuse avec une croissance en baisse.
Lia : Beaucoup de rappeurs américains exhibent l’or, les marques, les voitures de luxe, une forme de revanche sur le passé.
Eric : Oui, c’est le blason, on revient à une logique ancestrale, de revanche sociétale. Au départ, le luxe peut répondre à un désir revanchard mais très vite on s’habitue à l’olympe et quand on y rentre, on ne veut pas en sortir, on ne veut pas casser les colonnes mais on veut avoir sa statue. Quel est le rêve d’un musicien ? C’est de devenir directeur artistique, c’est devenu un cheminement logique. Vuitton avec Pharell Williams, Ray Ban avec A$AP Rocky… Mon travail est imbibé de Pop culture, ça m’intéresse plus que le luxe à la base, j’aime la connexion entre les deux. Je dirais que ma force est de ne pas être dans la soumission avec les marques de luxe, je ne suis pas dans la cour du roi. Mais, aujourd’hui, le luxe français souffre d’une cour qui serait la presse de mode. Quand on lit les article de presse mode, tous les créateurs sont géniaux, il n’y a plus aucun sens critique pourtant y a des soucis mais quand on lit les médias mode, tout semble aller bien. Il n‘y a que les médias de décryptage économique comme Le journal du Luxe, Business of Fashion, WWD qui osent encore avoir du sens critique. L’absence de discours critique dans la presse spécialisée a été remplacé par les analystes financiers, parce que la nature déteste le vide, et c’est vraiment dommage.
Lia : Les nouveaux modèles comme les influenceurs, créateurs de contenus, ont participé au bouleversement du luxe, à son public. Je pense notamment aux Kardashians, à Kim en particulier dont on médiatise le procès en ce moment…
Eric : Bien sûr, tout le monde s’intéresse à Kim Kardashian. Parce qu’elle incarne le monde contemporain. C’est un génie de la communication, tout ce qu’elle touche se transforme en or, en transparence. Je suis plus sensible à Kim Kardashian l’entrepreneuse que la people, elle a su utilisé la télé-réalité pour être entrepreneuse. L’intelligence, c’est de savoir bien s’entourer, et Kim sait bien s’entourer. Elle a monté une industrie. J’ai écrit des livres sur les milenials, sur le digital, la génération Z, la génération alpha, sur le rapport entre la résilience économique et le luxe. C’est toujours des révolutions. J’ai la chance de pouvoir observer les nouvelles générations dans mon école, un peu comme un laboratoire. J’ai travaillé autour des marques Indies, qui partent de la culture, de la musique, des séries… Aujourd’hui, les vecteurs culturels pour la génération Z, ce ne sont pas les films ou les séries, ce sont les influenceurs à K, les créateurs de contenus.
Lia : Pour la génération Z mais aussi pour la génération alpha ?
Eric : Oui, c’est même pire. Par exemple, ils ne vont pas voir un film, ils vont voir un concentré de film en 8 secondes comme le film Challenger qui a fait beaucoup parler de lui mais quand on regardait les chiffres réels du box office, en réalité très peu de personnes ne l’ont vu. Les nouvelles générations voient de manière très synthétique, on perd toute l’œuvre. Le fait que ce soient des créateurs de contenus qui créent le cool, l’indie, ça pose problème. Même si il peut y avoir de très bons créateurs de contenus, une de mes étudiantes était Lena Situation, elle a passé deux ans dans notre école, c’était une génie du marketing, spontanée et hyper opportuniste. Ce qui est fascinant avec la génération Z, c’est que le syndrome de l’imposteur n’existe plus et pourtant leur santé mentale est défaillante. Il y a ce côté débrouille, Ils veulent tout, tout de suite, c’est un rapport au temps court qui s’éloigne du luxe pourtant, et tout devient contenu de Tiktok en passant par Instagram et même Onlyfan. C’est une génération narcissique poussée par les réseaux sociaux où le luxe est devenu un shot d’adrénaline et de plaisirs éphémères. La valeur extrême est devenue la désirabilité or c’est éphémère. Tout est interchangeable, ce qui met le luxe en tension. En plus, il y a un effet démultiplicateur qui s’appelle la Gen IA. On est en plein changement de civilisation.
Lia : Ma génération connaît très bien, le syndrome de l’imposteur, particulièrement les femmes, ce qui a provoqué certaines frustrations, certaines inhibitions… À contrario, l’absence de ce syndrome peut amener à une surestime de soi qui ne permet aucun sens critique ni de recul. C’est vraiment intéressant quand on y pense.
Eric : Le luxe est devenu l’anti-dépresseur de la génération Z à travers l’impact des réseaux sociaux qui détruisent la notion de satisfaction de la vie, parce qu’on est dans la comparaison permanente. La génération Z est obsédée par la question de l’argent, il y aura toujours plus riche, pour le meilleur et pour le pire. Par certains aspects, je les envie, ils n’ont aucun problème pour négocier parce qu’ils ont vécu dans un contexte très positif jusqu’à maintenant. C’est la génération la plus riche et privilégiée en comparaison à la votre ou à la mienne. Là, on vit un basculement, la Gen IA attaque les juniors, ce sont les postes juniors qui sont remplacés par l’IA. Il y a deux malédictions, d’une part la santé mentale, d’autre part l’impact de la Gen IA sur les moyens et médiocres. Sur les meilleurs, l’IA rend plus fort. C’est une grande revanche des cols bleus par rapport aux cols blancs. Les cols bleus ont toujours payé le prix fort des révolutions technologiques, c’étaient les premiers remplacés, et pour la première fois, il y a eu un renversement. J’essaye d’amener mes étudiants à utiliser Gen IA avec intelligence, esprit critique, il faut une culture générale, on ne prompt pas si on ne sait pas écrire, si on ne sait pas parler, si on n’est pas curieux. Bref, beaucoup de défis à relever. Le luxe a embrassé la Gen IA en particulier LVMH, pour la dimension de service, c’est indispensable mais sur la créativité et le contenu, ça me paraît dangereux. On parle d’IA slope, c’est la purée IA, il y a tellement d’images que ça vous fait douter sur la vérité. Parce que le propre de l’image du luxe, c’est la rareté, la qualité, la singularité, la main, le savoir-faire. Hélas, on est dans un monde gouverné par le profit et l’hyper capitalisme. Quand vous avez une boite et que vous annoncez des licenciements, vous gagnez deux points en bourse. Donc, la pression à court terme de la finance fait que la Gen IA est devenu le meilleur ami de la bourse. En tant que directeur d’école, mon premier devoir, c’est l’employabilité, donc forcément, ça me travaille.
Lia : Dans cette optique d’ultra rentabilité et de profit, on en vient à sacrifier les valeurs et l’essence même de certaines maisons de luxe.
Eric : Quel est l’idiot dans l’histoire ? Le client peut être idiot.
Lia : On nous rend idiots.
Eric : Oui sûrement, mais d’un autre côté, on a sur-dimensionné l’intelligence du client. C’est terrible de dire ça, c’est le nivellement par le bas. Je suis pessimiste par rapport à la nature humaine, de toute façon, on va tous mourir, c’est mon côté Nietzschéen, Lovecraftien. Le luxe a un lien avec la mort. Le luxe est né dans les pyramides d’Egypte, le luxe c’est la promesse d’une vie éternelle.
Lia : Il y a aussi la notion de transmission, d’héritage…
Eric : J’y vois une dose de cynisme. Il y a une série que j’adore, « Your friends & neighbors » dans laquelle le héros est un homme riche dans la crise de la cinquantaine. Sa femme le trompe avec son meilleur ami, il divorce, il perd son job mais ne veut pas changer de style de vie. Alors il se met à voler ses amis et voisins. Dans chaque épisode, il y a une analyse du luxe. Dont un épisode autour de la montre Nautilus de Patek Philippe, valeur d’achat 240 000 dollars, valeur de rachat 250 000 dollars, la pub étant on ne possède jamais une Patek, on la transmets. Le mec dit que ça ne sert à rien de la transmettre vu que la nouvelle génération n’utilise plus de montre. Quand j’entends « transmission », pour moi, c’est une belle histoire, une histoire profondément égoïste qui raconte l’égo, le statut avec un frisson d’éternité. Aujourd’hui, le luxe qui s’adresse aux plus riches, c’est le luxe transformatif, la promesse de vie éternelle, de longévité.
Lia : On a tellement peur de la mort, du temps qui passe, ça me fait penser au film « Brazil ».
Eric : Oui, la chirurgie esthétique est un facteur mais la promesse de vie éternelle est une expérience globale, ce sera par exemple, sept jours à la clinique La Prairie à Montreux, ça pourrait être aussi 21 jours voire chaque jour, c’est un luxe extrêmement fidélisant qui se base sur un inside qui touche l’égo et l’essence de l’être humain. En réalité, on cherche à être en bonne santé le plus longtemps possible avec un programme sur mesure et ça demande beaucoup d’argent.
Lia : Quand on dit luxe, on parle aussi de contrefaçons, et dans ce cas de figure, clairement, il n’y a aucune contrefaçon possible.
Eric : Exactement !
Lia : C’est un luxe invisible, exclusif, loin des contrefaçons de marques avec logos ostentatoires.
Eric : La génération Z est plus sensible à l’esthétique qu’à la marque, c’est un appel à copie ! Et en même temps, avec les nouvelles stratégies, la qualité de l’objet luxe en se massifiant en perd en qualité, heureusement qu’il reste des exceptions mais quand on regarde tous les sous-traitants en Italie par des entrepreneurs chinois qui sous-paye le personnel et ainsi de suite… Les marques nous font payer un supplément qui ne se mérite pas, qui n’est finalement plus gage de qualité, alors pourquoi ne pas aller vers la copie ? Qui est l’idiot à la fin ? Celui qui paye plein pot ou celui qui achète un dupe ? On est dans un monde d’injonctions paradoxales. Par exemple, la patronne, la CEO de la marque américaine Atelier annonçait « la qualité Hermès à un prix Céline », on assiste a une libération de la parole délirante. C’est une simplification Trumpienne du monde, on va au plus vite, au plus simple dans un monde tellement complexe. Alors que le luxe gagnerait à être associé à la culture. Le devoir du luxe par rapport à ce monde où tout va vite serait de pousser du contenu hors algorithme, hors case. Le luxe suscite un désir que vous avez au fond de vous mais que vous ignorez. L’algorithme donne ce qu’on attends alors que l’une des missions du luxe, c’est aussi de savoir dire « Non ».
11, rue du Faubourg Saint Honoré Paris 1er
Merci à anne-charlotte Archimbaud ainsi qu’à toute l’équipe de Carita pour leur accueil chaleureux.



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