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LAURENCE EMPEREUR
directrice de Maison Empereur
Digne héritière de Maison Empereur, Laurence représente la septième génération de ce lieu emblématique de Marseille, une caverne d’Ali baba implantée dans le quartier de Noailles depuis le début du XIXe siècle.
Véritable encyclopédie visuelle, la quincaillerie devenue au fil du temps la maison des manufactures historiques, couvre environ 50 000 références riches d’histoires.
Depuis une quarantaine d’années, Laurence préserve l’âme du lieu en perpétuant la valorisation des manufactures tout en insufflant sa touche personnelle, comme l’ont fait chaque génération précédente.
Nous nous sommes retrouvées à l’étage du salon de thé de Maison Empereur, entourées d’objets historiques où nous avons parlé de transmission des valeurs, de fantômes bienveillants, des histoires qui se dissimulent derrière chaque objet, de savoir-faire, de la richesse des manufactures françaises et du lien précieux avec les clients.
Entre autres...













Lia : Quand je viens à Marseille, Maison Empereur est mon point de repère, un peu comme s’il s’agissait du centre névralgique de la ville.
Laurence : Oh vraiment ? Pourtant, on est caché de tout le monde, notre enseigne n’est vue de nulle part. On a deux siècles et demi d’histoire. Nous étions artisans sur deux générations, rue des Templiers sur le Port, on était taillandiers et forgerons, à partir de 1770 jusqu’en 1827. La deuxième génération a racheté une quincaillerie dans le même quartier que l’atelier pour aussitôt déménager ici à Noailles. Et depuis on est devenu négociants, commerçants entre ces murs depuis deux siècles. Chaque génération s’est exprimée au fur et à mesure, je représente la septième génération, il y avait quelques incohérences, j’ai repensé un peu les espaces, j’ai fait le ménage pour que le magasin soit cohérent, j’ai ajouté des milliers de références et j’ai souligné qu’on était la maison des manufactures historiques depuis toujours. On défend les manufactures historiques françaises et maintenant au-delà, on essaye de faire rentrer les meilleures manufactures du monde dans l’établissement. La richesse de ce magasin, c’est d’être accessible à toutes les bourses, on rencontre toutes sortes de personnalités, toutes générations confondues. L’idée étant que tout le monde puisse se faire plaisir. On a une clientèle tellement variée, aussi bien une personne qui se fait déposer par son chauffeur qu’une gitane du quartier, il y a une ambiance extraordinaire, tout le monde se sent chez soi. C’est drôle de voir les clients enchantés déambuler avec la banane, cette danse au quotidien est une pure merveille, je me régale. Les murs portent les âmes de mes ancêtres comme des fantômes bienveillants. Tout ça pour dire que je ne franchiserais jamais.
Lia : Je comprends, l’âme du lieu est liée à son histoire. Et chaque objet y trouve sa place que ce soit un couteau, du cirage, une bouillotte, un tablier, une assiette, des bottes et des jouets, tant de jouets ! Quand je viens, j’ai l’impression de voyager dans le passé, de me replonger en enfance, et forcément je dévalise le magasin !
Laurence : J’avais peur de perdre la nouvelle génération mais finalement, ça les interroge, donc même s' ils n’ont pas de mémoire de maison de famille, même si ça ne leur évoque pas forcément des souvenirs, ils sont super curieux parce que c’est pas commun de voir autant d’objets insolites dans le même endroit. Je suis ravie que même les plus jeunes soient emportés par l’ambiance.
Lia : Ça pourrait être une vitrine du passé, presque muséale mais parce que vous proposez des objets pour toutes les bourses, chaque personne peut repartir avec un objet qui prolongera l’expérience du lieu, de la maison Empereur. Quand j’ai amené ma fille, elle était fascinée, son attention était captivée par les vitrines de miniatures, c’était magique.
Laurence : Ça nous touche énormément de savoir que ça réveille quelque chose. Je ramène toujours quelque chose de mes voyages, c’est une accumulation, chaque article qui rentre n’en chasse aucun autre. Par cette accumulation, chaque génération a dû rajouter des mètres carrés pour offrir et présenter ces nouvelles gammes.
Lia : Ce qui est impressionnant, c’est que chaque objet trouve sa place.
Laurence : On a douze départements mais tout doit avoir du sens sans tomber dans le concept. On a le vent en poupe depuis quelques temps, on pourrait presque dire qu’on est à la mode mais je ne veux pas l’entendre, parce que la mode est éphémère et que l’idée est de tenir encore des décennies. Je m’étais permise d’ouvrir un nouvel espace Maison Empereur, accès sur l’art de vivre, c’est l’étage, là où on trouve les jeux, les vêtements traditionnels, on va dire que j’ai un peu boboisé Maison Empereur qui jusque là s’adressait aux professionnels. Mais je te tiens à ce que le rez-de -chaussée reste professionnel, les marseillais viennent pour trouver des choses précises. Historiquement, on reste une quincaillerie droguiste. Je commence à me mettre un peu en recul, ça fait quarante que je suis investie, la huitième génération s’apprête à rentrer avec mon fils, Martin, 26 ans. Il fera attention à la manière de raconter les histoires, en défendant des valeurs, en offrant de l’espace et du temps aux autres.
Lia : Chaque objet invite à la curiosité.
Laurence : Les produits étaient faits pour durer, ils étaient bien pensés. Il y a tellement d’histoires derrière chaque objet entre les manufactures et notre propre histoire ! On couvre environ 50 000 références et comme on en a de plus en plus, je suis obligée de faire tourner le catalogue pour les présenter, faute de place.
Lia : Un peu comme une encyclopédie.
Laurence : C’est le résultat de sept générations qui a apporté son supplément d’âme, ça fait beaucoup de choses à raconter en couvrant ces douze univers aussi bien féminin que masculin, enfantin, c’est encore plus dynamique. Moi, ça me fascine !
Lia : Maison Empereur évoque aussi le foyer, la maison comme son nom l’indique, un endroit familier où l’on se sent bien accueilli.
Laurence : Je le dois à mon équipe, j’ai beaucoup d’artistes qui travaillent pour la maison, ils adorent se nourrir des discussions avec les clients, les clients s’y retrouvent. J’en ai fait un symbole chez Maison Empereur. On a trois symboles : l’enclume qui représente notre époque d’artisans, le loup qui représente le bâtiment que l’on retrouve sur la façade historique et la chaise pour prendre le temps avec le client. Les clients nous laissent des petits mots sur des papiers, ce sont des sollicitations, ce qu’ils attendent de nous, ce qu’ils apprécieraient de trouver. C’est l’un des secrets de longévité de la maison et pour ça que nous ne voulons pas franchiser, ça n’aura aucune sève. Mon joyeux bazar me plaît comme ça, un peu poussiéreux, un peu bancal, ce qui compte c’est la qualité de notre sélection et la relation avec nos clients.
Lia : Finalement, ce qui reste central, c’est le lien humain et les savoirs-faires entre les artisans, les manufactures, les clients ?
Laurence : Absolument, le plaisir extraordinaire que j’ai en déambulant dans les usines en France, la beauté du geste, la beauté des produits, de chaque étape de fabrication, que ce soit chez un ferblantier pour taper l’acier, chez un forgeron, chez un maître cirier, toutes ces machines incroyables ! L’autre jour, j’ai visité l’usine de laine antique d’Arles à l’Isle-sur-la-Sorgue durant sept heures, il y avait des baluchons de laines, de cachemires, rangés par qualités, par couleurs, il y avait encore des machines qui tissent aux chardons.
Lia : Fascinant !
Laurence : J’aimerais tant que ma clientèle puisse avoir accès à tout ça ! Tout ce qui crée des émotions chez moi, je veux à tout prix le partager.
4 rue des Récolettes
13001 Marseille
Un grand merci à Charlotte Brunet pour cette rencontre pleine de sens qui ouvre la série Marseillaise.
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