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NICOLE BACHARAN

Ecrivaine et politologue

Politologue spécialiste de la société américaine, auteure de nombreux ouvrages comme “Good Morning America” (Seuil) et dernièrement “La plus résistante de toutes” (Stock), Nicole Bacharan ne cesse de décortiquer l’histoire pour transmettre et éviter les dérives d’une amnésie sociale.

Nous nous sommes retrouvées chez elle, où nous avons parlé de son parcours de femme et mère, du processus d’écriture, des vertus des histoires individuelles et de courage. Entre autres…

Lia : À propos de votre livre « La plus résistante de toutes », c’est à la fois un récit intime, vous parlez de votre mère mais aussi un témoignage historique.

Nicole : Je suis heureuse que ce livre vous ait plu, ça compte énormément pour moi qu'il soit lu par des gens qui le comprennent vraiment.

Lia : Ce récit dévoile la source de votre engagement féministe, d’ailleurs, en préface de l’ouvrage « La plus belle histoire des femmes » vous faites allusion à votre mère.

Nicole : C’est un livre que j’ai adoré écrire, souvent les ouvrages collectifs peuvent être compliqués mais celui-ci, ce n’était que du bonheur, nous nous entendions merveilleusement avec ces trois femmes tout à fait remarquables. Malheureusement nous avons depuis perdu Françoise Héritier. J’ai eu une chance incroyable de passer beaucoup de temps avec Michelle Perrot, qui d’une certaine manière était la partie centrale du livre. C’était au tournant des années 2000, je me rendais chez elle rue Madame, elle me servait du thé et du chocolat, on passait de beaux et longs moments ensemble.

Lia : Vous avez écrit plusieurs livres collectifs, ça doit être particulier de partager l’écriture à plusieurs ?

Nicole : Soit ça se passe bien, soit ça ne se passe pas bien ! L'écriture à quatre mains avec Dominique Simonnet a toujours été un bonheur, des moments d’harmonie  au milieu du chaos quotidien de la famille recomposée! On retrouvait le calme en écrivant ensemble.

Lia : Vous avez trouvé un équilibre en vivant ensemble, avec Dominique, qui lui même est écrivain, c’est rare, précieux.

Nicole : On a énormément de chance, dans le domaine de l’écriture on s’est très vite fait confiance, on se donne les textes de l’un à l’autre, on se lit, on s’écoute, c’est mutuel.

Lia : J’ai toujours été fascinée par votre parcours, le fait que vous ayez commencé à écrire après 40 ans en tant que mère de trois filles, vous êtes un modèle !

Nicole : Il n’y a pas d’âge pour commencer. La vie a fait que j’ai d’abord élevé mes enfants, je ne pouvais pas tout faire en même temps. Quand je vois les jeunes femmes aujourd’hui qui font tout en même temps parce qu’elles n’ont pas le choix, elles sont épuisées. Quand je me suis séparée du  père de mes filles, je n’avais pas le choix, il fallait que je gagne notre vie, je n’avais pas de réserve. Quand c’est urgent, on finit par y arriver. J’ai toujours été Freelance, d’un côté c’est une grande liberté, mais d’un autre côté, quand on ne voit rien qui se profile, on panique un peu. Et on finit toujours par y arriver !

Lia : Oh oui... Ça relève presque du miracle. Comme beaucoup d’indépendants, je passe aussi par des angoisses similaires et on ignore pourquoi, une opportunité se présente et on rebondit. Nous sommes dans des domaines où rien n'est prévisible.

Nicole : On y arrive ! J’ai eu des périodes confortables et d’autres beaucoup moins. Pour franchir les caps difficiles, c’est essentiel d’être bien entourée.

Lia : Oui, surtout si on manque de confiance en soi ou en la vie. Les personnes qui nous entourent révèlent une partie de nous et inversement comme autant de miroirs de l’âme.

Nicole : C’est essentiel, j’ai des gens de confiance autour de moi. Si l’entourage a confiance en nous, ça aide à avoir confiance en soi. Dominique est extraordinaire, à aucun moment je dirais que notre vie été parfaite, la vie c’est compliqué,e les parents vieillissent, les enfants vous détestent parfois, il y a toutes sortes de crises mais c’est une chance de partager ma vie avec Dominique. Je l’ai rencontré à 40 ans.

Lia : Tous les espoirs sont permis !

Nicole : Chacun trouve son chemin, on ne peut pas tout faire en même temps, je sais que vous avez eu votre fille très jeune, il y a un temps pour tout. 

Lia : Pour revenir à votre dernier ouvrage « La plus résistante de toutes », il s’agit d’une plongée dans votre intimité familiale, plus personnelle que les précédents ouvrages. Comment avez-vous vécu cette période d’écriture ?

Nicole : J’ai toujours voulu écrire ce livre, depuis mon adolescence, j’ai attendu que les derniers témoins aient  disparu, mon père en particulier, il n’aurait pas apprécié, je n’avais pas de raison de blesser un homme âgé. J’ai attendu aussi par crainte de ne pas savoir écrire cette histoire, de ne pas bien le faire. Je m’en suis approchée petit à petit, ça a pris dix ans, en faisant des recherches d’abord épisodiques, puis de manière concentrée. C’est au moment où j’ai signé avec mon éditeur que je me suis vraiment mise à écrire, je n’avais plus le choix. J’avais pris un cahier d’écolier dans lequel j’ai écrit, sans m’arrêter,  la liste de tous les épisodes que ma mère m’avait raconté et dont je me souvenais. Je me suis aperçue, que tout était là, inscrit dans une partie de mon cerveau. J’ai regardé ma petite liste et je me suis dit  « si j’arrive à écrire 120 pages » ce sera merveilleux. Finalement, en commençant l’écriture de manière chronologique, dans le village où ma mère était née, à rechercher des photos, l’histoire du lieu, je me suis aperçue que pour que cela ait un sens je devais reconstituer l’époque. J’ai recherché tout ce qui s’était passé à Lezignan, Toulouse, Marseille à cette époque. Je m’étais accrochée comme à des radeaux à tous les noms que ma mère m’avait donnés, j’ai exploré des archives, c’est incroyable ce qu’on peut trouver, j’ai consulté des livres, j’ai interrogé des historiens spécialistes de l’époque et de la région, et je me suis mise à écrire en cherchant la simplicité de l’écriture, sans effet compliqué pour rester au plus proche de ce que j’avais à dire. Mon modèle, de loin, modestement, c’était l’écriture du « Grand Meaulnes » d’Alain Fournier: une extrême simplicité, bien qu’à l’évidence, ce soit très travaillé. Dominique m’a énormément aidé sur la construction, sur le rythme, sur la qualité de l’écriture. Les chapitres qui concernent la Gestapo, je les ai écrits durant le confinement, à un moment de profonde angoisse, moralement c’était dur mais je suis contente du résultat, je suis heureuse que ce livre existe.

Lia : C’est un témoignage incontournable. Il est nécessaire de continuer à témoigner pour éviter que l’histoire se répète. On constate avec effroi à quoi peut mener l’ignorance, entre les dérives sémantiques et la violence, il n’y a qu’un pas...

Nicole : Ce qui se passe depuis le 7 octobre est une stupéfaction. Qu’est-ce qui n’a pas été transmis? Pour transmettre,  il faut connaître bien sûr l’Histoire, le cadre, la chronologie, il faut savoir de quoi on parle, mais  je crois aussi à la vertu des histoires individuelles. Là par exemple, dans une classe de 3eme, des jeunes filles ont choisi de travailler sur l’histoire de ma mère pour le concours national de la résistance et de la déportation. C’est un concours qui invite des classes de collèges à travailler sur des parcours individuels qu’ils doivent reconstituer. Il y a 7 ans, j’avais été invitée à la remise de prix de ce concours au mémorial de la Shoah, des jeunes issus de quartiers difficiles avaient réalisé un très beau travail pour lequel ils ont reçu un prix. Ils ont été applaudis longuement, c’était émouvant, je me suis dit, « ils n’oublieront pas ».

Lia : Quand vous évoquez la vertu des histoires individuelles, je n’y avais pas pensé mais en effet, ça invite davantage à l’empathie, à la projection de soi. Parfois, je crains le manque d’empathie, on le voit avec les réseaux, le fait que toutes sortes d’informations défilent sans hiérarchie...

Nicole : Oui, c’est le risque de l’anesthésie. Sans empathie on ne peut pas vivre en société, en famille ni même en couple. C’est dangereux. Suite à la publication du livre, j’ai reçu des messages qui m’ont énormément touché, de personnes âgées qui ont vécu cette période, des personnes de mon âge qui avaient des parents résistants ou collabos mais aussi de jeunes femmes qui se sentent dépassées face aux dangers colossaux, climat, guerre, de notre temps, mais qui ont réalisé qu’elles pouvaient faire quelque chose. Ginette, ma mère, est devenue pour elle une inspiration.

Lia : C’est le message de votre livre, l’histoire de Ginette permet de se dire que le courage est en nous.

Nicole : Avant d’affronter quelque chose, on ne sait pas si on a du courage. On a des ressources qu’on ne soupçonne pas.

Lia : Mon père m’a dit un jour qu’on ne se connait pas soi-même, on ne sait pas comment on réagira face à telle ou telle situation. On passe notre vie à apprendre à nous connaître.

Nicole : C’est tellement juste. Sur la question de la guerre, de la Shoah, on s’est tous demandé ce qu’on aurait fait. Je ne crois pas qu’on soit potentiellement tous des salauds mais est-ce qu’on aurait vraiment eu du courage ? On ne sait pas, on ne peut pas savoir.

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