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BRIGITTE BENKEMOUN
Ecrivaine.
Entre autres...












Lia : C’est émouvant de se retrouver dans l’intimité de la villa Benkemoun, alors même que je viens de terminer la lecture de ton dernier ouvrage « La villa ».
Brigitte : C’est étonnant d’imaginer comment les personnes qui ont lu le livre découvrent la maison ensuite. Je suis toujours curieuse de savoir quel regard elles portent sur la maison. Alors que les premiers lecteurs connaissaient évidemment la maison, mon mari, mon fils et ma fille.
Lia : On a beaucoup vu de photographies de la villa dans la presse et sur Instagram, la découvrir en vrai est une chose, la découvrir à travers le livre en est une autre. J’imagine que ça ne devait pas être évident de replonger dans le passé pour écrire son histoire si particulière qui se cache derrière les murs.
Brigitte : Oui, ça n’a pas été évident. Ce livre a pris du temps, j’ai commencé à l’écrire il y a cinq ans, j’ai arrêté il y a quatre ans, j’ai repris il y a trois ans... La première version du livre était bien plus à distance, c’est mon éditeur qui m’a convaincue qu’il fallait que je sois dedans. J’ai pris le livre a bras le corps il y a un an et demi, après l’organisation des cinquante de la maison. c’est à ce moment là que j’ai compris où le livre devait m’amener. Plus c’est intime, plus c’est difficile… en tout cas pour moi.
Lia : Ça devait être labyrinthique de creuser dans l’histoire familiale ?
Brigitte : Initialement, j’avais un sous-titre qui était « déconstruction familiale », ça m’avait aidé pendant l’écriture, comme un échafaudage, j’avais besoin de déconstruire la maison pour voir ce qu’il y avait en dessous, dans les fondations. On a décidé de ne garder que le titre « La Villa ». Et c’est logique quand une construction est achevée, on enlève l’échafaudage.
Lia : À travers ton livre, on comprend que la villa est bien plus qu’un espace architecturale, c’est un projet de vie, une structure, témoin de la vie familiale des Benkemoun, presque un personnage omniscient.
Brigitte : Par moment, avec la Villa, je partage des projets formidables, de la joie. Mais à d’autres moments où la villa elle est comme une vieille dame qui a besoin de toute l’attention et je ne la supporte plus, elle devient trop lourde, elle en demande trop. C’est toute l’ambivalence de notre relation. Je la vois comme une personne dont mes parents m’auraient confié la responsabilité.
Lia : Vous avez suivi le projet, les plans, la construction de la Villa depuis ton enfance et c’est au moment de ton adolescence que la famille s’y était installée. Ta chambre, si impressionnante, le lit rond, niché en haut d’un escalier. Comment as-tu vécu cette période entre l’enfance et l’âge adulte au sein de ces murs ?
Brigitte : À quinze ans, j’étais comme toute ado, je voulais ressembler à tout le monde, je voulais porter le même jean, les mêmes Kickers, les mêmes t-shirts, quand on est ado, on ne veut rien qui dépasse, c’est plus tard que la singularité devient quelque chose de valorisant. Le premier copain à qui j’avais fait visiter la villa, j’ai vu dans son regard qu’il ne me regarderait plus jamais de la même façon. Le lendemain au lycée, tout le monde savait que j’avais un lit rond, quand j’y pense, j’ai dû faire fantasmer un bataillon d’adolescents boutonneux avec ce lit rond (rires).
Lia : En effet, la Villa est tellement hors norme, que ça devait intriguer et inviter aux fantasmes. Ton père avait travaillé étroitement à la réalisation des plans avec Emile Sala, notamment sur l’idée des murs incurvés, il semblait vraiment audacieux.
Brigitte : Oui, mon père dessinait des courbes sur les plans, il voulait tout arrondir. Sur le papier, c’est ce que je raconte dans le livre, mes parents n’avaient pas du tout le profil de gens fantasques, farfelus, érudits qui peuvent faire construire une maison avec un architecte. Mon père était huissier de justice, ce qui provoque toujours un drôle d’effet quand je le dis, et pourtant il avait le rêve d’une maison qui allait casser les codes, ce qui prouve aussi que la liberté, l’invention ne se trouve pas forcément dans des milieux culturellement nourris. Alors oui, il savait qui était le Corbusier mais il le connaissait parce qu’il allait garer sa voiture le long de la cité radieuse quand il se rendait à Marseille pour voir jouer l’OM au stade. Mes parents aimaient le design mais si on leur demandait de qui avait créé cette lampe, ils n’auraient pas su quoi répondre, ce n’était pas leur sujet. Mon père était attiré par le moderne, une manière de ne plus regarder le passé, de ne pas être nostalgique. Je pense qu’il y a beaucoup d'exilés qui sont dans cette position. Il avait besoin de se projeter dans l’avenir pour construire une nouvelle vie avec panache.
Lia : Quand on se retrouve à l’intérieur de la Villa, tout semble si fluide grâce aux courbes, les angles sont rares, l’air circule, ça me fait penser à l’architecture féconde d’Oscar Niemeyer.
Brigitte : Et il y a très peu de portes ! Les rares portes restaient ouvertes. Ils avaient demandé une maison avec peu de portes et peu de couloirs à l’architecte. C’est une maison village avec une partie commune dans laquelle on se trouve, un peu comme une salle des fêtes, il y a la cuisine et après chacun à son domaine, sa terrasse. Clairement, j’avais la plus jolie chambre, la chambre du donjon, parce que j’étais la seule fille donc un peu la princesse (rires).
Lia : Et il y a beaucoup d’ouvertures qui rendent la villa si lumineuse.
Brigitte : L’architecte avait pensé les fenêtres comme des cadres, des tableaux.
Lia : Des tableaux en mouvement permanent face aux saisons.
Brigitte : Et au fil des années ! Au début, il n'y avait que du foin. Le magnolia n’arrivait pas encore au toit et aujourd’hui, il est immense, il a cinquante ans.
Lia : Revenons en arrière avec ton premier ouvrage « La petite fille sur la photo », roman autobiographique.
Brigitte : Au départ, je voulais faire un documentaire sur la guerre d’Algérie à hauteur d’enfant en essayant de rassembler des souvenirs d’enfants musulmans, juifs, espagnols, italiens, colons… À l’époque, j’étais journaliste, je venais de la télé et de la radio mais finalement le producteur n’a pas réussi à le vendre et une amie éditrice m’a dit qu’elle me prendrait le livre. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire mon premier livre.
Lia : Et c’est ainsi que tu es devenue auteure ! Puis d’autres livres ont suivi « Albert le magnifique », également un récit familial puis « Je suis le carnet de Dora Maar », véritable enquête autour de la muse de Picasso à travers un répertoire trouvé par hasard.
Brigitte : Oui, ensuite, j’ai écrit « Sa vie pour Picasso » autour de la personne de Marie-Thérèse Walter, autre compagne moins connue de Picasso, et tout dernièrement « La Villa ». D’ailleurs, on pourrait presque considérer « La Villa » comme le dernier tome d’une trilogie familiale succédant à « La petite fille sur la photo » et « Albert le magnifique ».
Lia : Nous sommes dans la Villa au sein de laquelle d’autres chapitres semblent s’écrire au fil du temps à travers les expositions et évènements que vous organisez.
Brigitte : Oui, et souvent, après les expositions, les artistes nous laissent une œuvre. Quand on a rénové la Villa, j’avais découvert que c’était Guy Bareff à l’âge de 28 ans qui avait créé les céramiques de la cheminée conçue par Max Sauze. Je l’avais contacté, il était tout ému, et on a décidé de faire une exposition suite à laquelle il nous a offert ce luminaire qu’il avait pensé comme un hommage à la cheminée. Nous avons aussi exposé Jeremy Maxwell Wintrebert avec ses verres soufflés, il nous a aussi laissé ses deux luminaires en forme d’yeux. Ces luminaires me font penser à mes parents.
Lia : Comme des yeux protecteurs ?
Brigitte : Oui, d’ailleurs j’avais toujours pensé que cette trouée de béton à l’extérieur était aussi comme un œil qui protège la maison. On a trois yeux protecteurs !
Lia : La villa a son propre caractère, aujourd’hui ponctué d’œuvres qui ont trouvé leur place. Notamment ce miroir de Pierre Cardin qui s’inclut parfaitement au sein de l’architecture.
Brigitte : C’est une pièce choisie par Raphaël Giannesini, commissaire de l’exposition pour les cinquante ans de la villa, on a voulu la garder dans l’espace après l’exposition. C’est sûr que mes parents auraient aimé ce miroir. Pour cette exposition, Raphaël avait réuni des artistes qui étaient célèbres en 1974 comme Vasarely, Andy Warhol, Michel Journiac et des jeunes artistes d’aujourd’hui qui avaient quelque chose à dire sur les années 70. Tu sais, j’aime bien les hasards, ce n’est pas pour rien que j’ai écrit sur Dora Maar à partir de son carnet d’adresses, et il se trouve que le grand-père de la meilleure amie de ma fille, était Jacques Soisson, un proche de Dubuffet. Avec Hannah et sa mère Emmanuelle, on a monté une grande exposition pour le remettre en lumière et on a gardé ce tableau là, datant de 1974. Comme l’œuvre de Raymond Guerrier aussi de 1974 que j’avais achetée.
Lia : Ce n’est pas évident de se réapproprier un lieu qui a sa propre histoire, même si on fait partie de l’histoire, tu en parles très bien dans le livre.
Brigitte : Thierry Demaizière, mon mari, a apporté beaucoup de cohérence dans sa façon de penser la rénovation et la direction artistique de la villa. Après, je n’arrive pas y vivre, d’abord parce que j’habite à 300 mètres que j’y suis bien mais aussi parce que j’ai l’impression d’être encore chez mes parents. Je les sens encore ici. Si j’y habitais, je me sentirais engloutie sous le mausolée. Ça pose la question de la transmission. Qu’est-ce qu’on transmet à travers une maison ? Est-ce que c’est juste quatre murs et un toit ? Non, évidemment que non. On transmet le rêve qui a précédé la transmission, on transmet une histoire. En effet, je me retrouve porteuse de tout ça, c’était important de comprendre ce qui m’a été transmis, ce que je vais transmettre à mon tour. C’est pour ces raisons que le livre est dédié à mes enfants et leurs enfants après eux.
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